Recensement
Publié : 18 juin 2025, 17:25
Recensement
Préambule :
La courte histoire qui suit est rédigée en deux chapitres. Le deuxième, qui fait la part belle au ligotage, sera publié dans quelques jours.
Chapitre I
Simon n’avait plus que trois maisons à faire dans cette rue de banlieue. C’était bien plus long qu’il ne l’avait imaginé en s’inscrivant, et du coup pas cher payé pour le temps passé. Cela allait tout de même l’aider pour régler le loyer de sa chambre d’étudiant. Il estimait qu’à vingt ans, sans avoir encore de diplôme si ce n’était le BAC, tout job pouvant se faire en dehors des heures de cours était bon à prendre. Il ne fallait pas faire le difficile. Aussi avait-il sauté sur l’occasion quand il avait vu l’annonce concernant le recrutement d'agents pour le recensement national de 1990.
Il se planta devant le portail du numéro 87 de la rue, une propriété dont l’intimité était gardée par des cyprès en rangs serrés. Haut d’au moins 2 mètres, il ne laissait rien entrevoir du jardin ou de la maison auxquels il donnait accès. Le nom sur la boîte aux lettres, autant délavé par les rayons solaires que par la pluie, était illisible.
Il replaça sur son épaule gauche la bandoulière de sa sacoche pleine de formulaires qui avait la fâcheuse tendance à ne pas vouloir s’y maintenir, et appuya sur le bouton de l’interphone.
Il s’apprêtait à se présenter quand un bourdonnement de gâche électrique se fit entendre en même temps qu’une voix féminine l’invitait à entrer.
Un peu surpris, il poussa néanmoins le portail sans attendre, de crainte qu’il ne se verrouille de nouveau.
Le jardin se révéla à lui, vaste, splendide, faussement désordonné comme les Anglais savent les agencer. Une allée gravillonnée menait à une jolie bâtisse de style victorien, sur deux niveaux, avec un porche ceint de colonnes. Cela en imposait. Peu habitué à ce faste, Simon était mal à l’aise et ce n’était pas sa timidité naturelle qui allait l’aider à trouver le ton juste, propre à inciter les propriétaires à remplir son formulaire.
Arrivant au niveau de la porte, il leva la main pour actionner le heurtoir à face de lion qui l'équipait, mais n’eut pas le temps de le faire. Celle-ci se déroba et laissa apparaître une élégante jeune femme blonde.
— Bonjour ! Je n’espérais plus que vous passiez ce soir ; mais entrez donc.
— Bonjour Madame. Je… s’il est un peu tard, je peux revenir un autre jour…
— Surtout pas… répondit-elle en le scannant du regard de haut en bas.
— Vous êtes nouveau ? Je ne vous ai jamais vu.
— Euh, oui… En fait, c’est la première fois que je fais ça, répondit-il en se disant qu’elle aurait bien dû se douter que ce n’étaient pas les mêmes agents qui intervenaient à chaque recensement, surtout que le dernier remontait à 8 ans de cela.
— Ah ! d’accord… directement, comme ça… J’espère qu’ils vous ont bien briefés.
— Oh, ne vous inquiétez pas, j’ai été formé et je connais mon sujet, rétorqua-t-il tout en ouvrant sa sacoche dans l’intention d’en sortir un formulaire vierge.
— Dans ce cas, suivez-moi, nous allons faire cela dans le boudoir.
— Eh bien… oui, si vous le voulez, bredouilla-t-il avant de repousser le papier qu’il avait commencé à extirper.
Il emboîta le pas de la demoiselle qui le conduisit à l’étage. Celle-ci avait réellement une plastique parfaite. Quel âge pouvait-elle avoir ? 25 ans ? 28, peut-être.
— C’est petit, mais nous serons bien ici, dit-elle en le faisant entrer.
Petit ? Probablement par rapport aux autres pièces de cette bâtisse, mais tout de même trois fois plus grand que ma chambre, pensa Simon.
Le boudoir était de forme carrée. Il y flottait une légère odeur de moisi et d’encaustique. Dotée d’une seule fenêtre, à 19 h 30 et avec le ciel nuageux de ce jour d’été, il était déjà dans la pénombre. Il faut dire que le papier peint cramoisi qui le décorait n’aidait pas à avoir une impression de clarté. Une table ronde cernée de quatre chaises occupait l’angle situé au fond à droite, des bibliothèques en chêne habillaient de leurs centaines de livres la totalité du mur la jouxtant. Sur celui de gauche était aligné un buffet haut style Louis XVI dont l’alcôve était encombrée de bibelots bourgeois. Simon y reconnut des biscuits de Sèvres ou de Limoges et des tabatières chinoises dont certaines, à n’en pas douter anciennes, étaient en ivoire sculpté. Mais, ce qui attira le plus l’œil de notre agent de recensement fut le lit métallique plaqué de son long contre le mur. Sa tête et son pied étaient dotés de barreaux verticaux peints en noir. Un plaid écarlate couvrait son matelas et toute une tribu de gros coussins beiges le transformaient en canapé bobo.
La jeune femme l’invita à se mettre à l’aise tout en lui indiquant de la main une des chaises.
Simon retira sa veste légère, qu’il posa sur le dossier, et s’assit face à la table en plaçant sa sacoche sur ses genoux.
— Nous ne sommes pas pressés, vous allez bien accepter un petit apéritif avant de commencer, n’est-ce pas ?
— Normalement, je ne suis pas censé… débuta Simon tout en se laissant tenter. Pas par la boisson, en fait, mais par l’idée de passer un peu plus de temps avec la jolie jeune femme que ne l’exigeraient l’énoncé des instructions d’utilisation de son formulaire.
À sa grande surprise, celle-ci fit pivoter devant lui une partie de la bibliothèque qui se révéla factice, puisque dissimulant un petit bar. Elle en saisit une bouteille de champagne.
— Un Kir royal vous tenterait ?
— Je ne vais pas vous faire ouvrir une bouteille juste pour ça.
— Oh, ce n’est pas grave, moi, j’en ai vraiment envie, et puis nous ne sommes pas obligés de la boire en entier !
— Dans ce cas…
— Cassis ou framboise ? demanda-t-elle tout en lui tendant la champenoise.
— Framboise, s’il vous plaît, répondit-il avant de s’attaquer au muselet retenant le bouchon.
La jeune femme sortit des flûtes et y servit une quantité qu’il jugea carrément excessive de crème de framboise. Il nota d’ailleurs qu’elle lui en avait bien mis le double de sa propre dose.
Simon y ajouta le champagne en pensant qu’avec son manque de pratique de consommation d’alcool, il valait mieux qu’il refuse un éventuel deuxième verre.
La jolie blonde s’assit à son tour en face de lui et entama la conversation en lui demandant son appréciation sur la décoration de la pièce. Simon supposa que cette question n’avait vocation qu’à amorcer la conversation, ce qu’il put vérifier quand ils sautèrent de sujet en sujet au gré d’associations d’idées ou d’anecdotes. Il était finalement bien moins désagréable qu’il ne l’avait craint de discuter avec cette femme d’un milieu bien plus aisé que le sien. Largement sur la réserve au début, il s’était vite détendu. L’alcool n’y était probablement pas étranger. À n’en pas douter, il était tombé sous le charme de son intelligence et de sa beauté. Sans avoir à le demander, elle lui avait révélé son prénom : Laura. Une information qu’il aurait de toute façon fini par obtenir lors du renseignement de la fiche de recensement.
Il aurait dû refuser le deuxième verre comme il se l’était promis, mais, avec sa capacité de réflexion et son bon sens déjà en partie altérés, il n’osa pas le faire. Tout en parlant, il le but en quelques gorgées, bien qu’il lui parût encore plus sucré et alcoolisé que le premier. La suite de la conversation lui sembla cotonneuse, il fallait qu’il se concentre et ralentisse sa diction pour ne pas déraper sur la moindre consonne, la ramollissant au point qu’elle devienne indistincte.
— Finalement, vous êtes parfait ! s’exclama-t-elle, alors qu’il venait de réaliser qu’elle n’avait toujours pas fini son premier verre.
Parfait pour quoi ? se demanda-t-il.
— Je vais attendre encore un peu, continua-t-elle, ce sera moins désagréable pour vous.
Attendre un peu ? Moins désagréable pour quoi ? pensa Simon. D’accord, répondre à des questions sur son état civil, sa profession ou le nombre de résidents des lieux n’a rien de franchement amusant, mais de là à qualifier cela de désagréable… Et pourquoi « pour moi ? ». Parce que je devrais expliquer longtemps ? Pourtant, elle est des plus intelligente… Ou alors à cause du fait que j’ai du mal à articuler maintenant… Elle a dû s’en apercevoir, c’est sûr… Mais je risque de prendre un moment à récupérer toutes mes facultés d’élocution… Merde, je ne suis plus en état… Je suis en train de m’avachir sur cette chaise… Il faudrait que je me redresse… Bof… Est-ce vraiment utile. Je suis tout mou et j’ai la tête qui tourne méchamment maintenant.
Laura se remit à parler, mais, s’il comprenait encore le sens général de ses propos, il était devenu bien incapable d’émettre la moindre opinion.
Après plusieurs minutes, elle se leva et disparut de son champ visuel en passant derrière lui, pour aller chercher un livre qu’elle voulait lui montrer, ou une carafe d’eau, il ne savait plus trop. Ce devait plutôt être ça, pensa-t-il en entendant le léger glouglou d'un liquide s'écoulant.
Décidément, il devait encore avoir mal compris, car l’effluve très marqué d’un alcool chatouillait désormais ses narines. Il n’arrivait pas à déterminer lequel. Cela lui rappelait son enfance. De fugaces images lui revinrent à l’esprit. Une petite bouteille bleue, une compresse sur le genou écorché. Cela ressemblait à la désagréable odeur de l’éther que sa mère utilisait pour désinfecter ses plaies, quand ce liquide volatil était toujours en vente libre dans les pharmacies.
Il voulut se retourner, mais n’en eut pas le temps. La boucle d’une corde passa devant ses yeux avant de se resserrer sur son torse, bloquant ses membres contre lui, au-dessus des coudes. Une fraction de seconde plus tard, un bras frêle remonta sous son menton, tira son cou en arrière jusqu’à ce que son crâne vienne buter contre quelque chose de souple, l’immobilisant du même coup. Il leva les yeux et aperçut le visage d’ange de Laura, qui se révélait plutôt démon. Paniqué, il commença à crier, mais la main de cette dernière plaqua un imposant tampon d’ouate sur sa bouche et son nez. Cette fois, l’odeur écœurante de l’éther l’assaillait sans retenue. En pliant ses bras, il essaya d’atteindre la masse cotonneuse pour la repousser, mais ses doigts ne parvenaient qu’à effleurer son menton. Sa tête tournait. Il se mit à gesticuler des jambes, tentant de prendre appui sur un des pieds de table pour se dégager. Celle-ci recula de biais et les flûtes posées à sa surface valdinguèrent avant de se briser au sol. Par contre, ni lui ni sa chaise ne bougèrent. Il manquait d’air. Chaque bouffée de celle-ci, difficilement obtenue au prix d’une forte aspiration, lui emplissait les poumons de vapeurs d’éther. Son cœur accéléra nettement le rythme de ses battements.
Il ne fait aucun doute qu’elle veut me faire perdre conscience, mais, visiblement, cela ne marche pas, pensa Simon. Elle va s’en rendre compte et abandonner… abandonner…
Aban... doner... aban... don… ner...
Ses muscles se détendirent et ses mains retombèrent. La droite heurta violemment la table, pas assez repoussée de ce côté, mais il ne ressentit presque aucune douleur. Il n’avait plus aucune force, son esprit, déjà embrumé par l’alcool, sombra lentement dans le néant.
À suivre...
Avertissement :
Dans le monde réel, étheriser ou chloroformer quelqu'un au tampon est très dangereux pour sa santé. On rencontre assez souvent ce type de pratique dans la littérature ou les films, et donc aussi, vous l'avez constaté, dans le texte qui précède, car, dans l'esprit collectif, cela est censé être efficace, sûr et rapide. La santé et la survie des protagonistes d'une histoire ne dépendent que du bon vouloir de son auteur. Ce ne sera pas le cas de votre partenaire de jeu si vous aviez la mauvaise idée de tenter cette pratique sur sa personne !
Préambule :
La courte histoire qui suit est rédigée en deux chapitres. Le deuxième, qui fait la part belle au ligotage, sera publié dans quelques jours.
Chapitre I
Simon n’avait plus que trois maisons à faire dans cette rue de banlieue. C’était bien plus long qu’il ne l’avait imaginé en s’inscrivant, et du coup pas cher payé pour le temps passé. Cela allait tout de même l’aider pour régler le loyer de sa chambre d’étudiant. Il estimait qu’à vingt ans, sans avoir encore de diplôme si ce n’était le BAC, tout job pouvant se faire en dehors des heures de cours était bon à prendre. Il ne fallait pas faire le difficile. Aussi avait-il sauté sur l’occasion quand il avait vu l’annonce concernant le recrutement d'agents pour le recensement national de 1990.
Il se planta devant le portail du numéro 87 de la rue, une propriété dont l’intimité était gardée par des cyprès en rangs serrés. Haut d’au moins 2 mètres, il ne laissait rien entrevoir du jardin ou de la maison auxquels il donnait accès. Le nom sur la boîte aux lettres, autant délavé par les rayons solaires que par la pluie, était illisible.
Il replaça sur son épaule gauche la bandoulière de sa sacoche pleine de formulaires qui avait la fâcheuse tendance à ne pas vouloir s’y maintenir, et appuya sur le bouton de l’interphone.
Il s’apprêtait à se présenter quand un bourdonnement de gâche électrique se fit entendre en même temps qu’une voix féminine l’invitait à entrer.
Un peu surpris, il poussa néanmoins le portail sans attendre, de crainte qu’il ne se verrouille de nouveau.
Le jardin se révéla à lui, vaste, splendide, faussement désordonné comme les Anglais savent les agencer. Une allée gravillonnée menait à une jolie bâtisse de style victorien, sur deux niveaux, avec un porche ceint de colonnes. Cela en imposait. Peu habitué à ce faste, Simon était mal à l’aise et ce n’était pas sa timidité naturelle qui allait l’aider à trouver le ton juste, propre à inciter les propriétaires à remplir son formulaire.
Arrivant au niveau de la porte, il leva la main pour actionner le heurtoir à face de lion qui l'équipait, mais n’eut pas le temps de le faire. Celle-ci se déroba et laissa apparaître une élégante jeune femme blonde.
— Bonjour ! Je n’espérais plus que vous passiez ce soir ; mais entrez donc.
— Bonjour Madame. Je… s’il est un peu tard, je peux revenir un autre jour…
— Surtout pas… répondit-elle en le scannant du regard de haut en bas.
— Vous êtes nouveau ? Je ne vous ai jamais vu.
— Euh, oui… En fait, c’est la première fois que je fais ça, répondit-il en se disant qu’elle aurait bien dû se douter que ce n’étaient pas les mêmes agents qui intervenaient à chaque recensement, surtout que le dernier remontait à 8 ans de cela.
— Ah ! d’accord… directement, comme ça… J’espère qu’ils vous ont bien briefés.
— Oh, ne vous inquiétez pas, j’ai été formé et je connais mon sujet, rétorqua-t-il tout en ouvrant sa sacoche dans l’intention d’en sortir un formulaire vierge.
— Dans ce cas, suivez-moi, nous allons faire cela dans le boudoir.
— Eh bien… oui, si vous le voulez, bredouilla-t-il avant de repousser le papier qu’il avait commencé à extirper.
Il emboîta le pas de la demoiselle qui le conduisit à l’étage. Celle-ci avait réellement une plastique parfaite. Quel âge pouvait-elle avoir ? 25 ans ? 28, peut-être.
— C’est petit, mais nous serons bien ici, dit-elle en le faisant entrer.
Petit ? Probablement par rapport aux autres pièces de cette bâtisse, mais tout de même trois fois plus grand que ma chambre, pensa Simon.
Le boudoir était de forme carrée. Il y flottait une légère odeur de moisi et d’encaustique. Dotée d’une seule fenêtre, à 19 h 30 et avec le ciel nuageux de ce jour d’été, il était déjà dans la pénombre. Il faut dire que le papier peint cramoisi qui le décorait n’aidait pas à avoir une impression de clarté. Une table ronde cernée de quatre chaises occupait l’angle situé au fond à droite, des bibliothèques en chêne habillaient de leurs centaines de livres la totalité du mur la jouxtant. Sur celui de gauche était aligné un buffet haut style Louis XVI dont l’alcôve était encombrée de bibelots bourgeois. Simon y reconnut des biscuits de Sèvres ou de Limoges et des tabatières chinoises dont certaines, à n’en pas douter anciennes, étaient en ivoire sculpté. Mais, ce qui attira le plus l’œil de notre agent de recensement fut le lit métallique plaqué de son long contre le mur. Sa tête et son pied étaient dotés de barreaux verticaux peints en noir. Un plaid écarlate couvrait son matelas et toute une tribu de gros coussins beiges le transformaient en canapé bobo.
La jeune femme l’invita à se mettre à l’aise tout en lui indiquant de la main une des chaises.
Simon retira sa veste légère, qu’il posa sur le dossier, et s’assit face à la table en plaçant sa sacoche sur ses genoux.
— Nous ne sommes pas pressés, vous allez bien accepter un petit apéritif avant de commencer, n’est-ce pas ?
— Normalement, je ne suis pas censé… débuta Simon tout en se laissant tenter. Pas par la boisson, en fait, mais par l’idée de passer un peu plus de temps avec la jolie jeune femme que ne l’exigeraient l’énoncé des instructions d’utilisation de son formulaire.
À sa grande surprise, celle-ci fit pivoter devant lui une partie de la bibliothèque qui se révéla factice, puisque dissimulant un petit bar. Elle en saisit une bouteille de champagne.
— Un Kir royal vous tenterait ?
— Je ne vais pas vous faire ouvrir une bouteille juste pour ça.
— Oh, ce n’est pas grave, moi, j’en ai vraiment envie, et puis nous ne sommes pas obligés de la boire en entier !
— Dans ce cas…
— Cassis ou framboise ? demanda-t-elle tout en lui tendant la champenoise.
— Framboise, s’il vous plaît, répondit-il avant de s’attaquer au muselet retenant le bouchon.
La jeune femme sortit des flûtes et y servit une quantité qu’il jugea carrément excessive de crème de framboise. Il nota d’ailleurs qu’elle lui en avait bien mis le double de sa propre dose.
Simon y ajouta le champagne en pensant qu’avec son manque de pratique de consommation d’alcool, il valait mieux qu’il refuse un éventuel deuxième verre.
La jolie blonde s’assit à son tour en face de lui et entama la conversation en lui demandant son appréciation sur la décoration de la pièce. Simon supposa que cette question n’avait vocation qu’à amorcer la conversation, ce qu’il put vérifier quand ils sautèrent de sujet en sujet au gré d’associations d’idées ou d’anecdotes. Il était finalement bien moins désagréable qu’il ne l’avait craint de discuter avec cette femme d’un milieu bien plus aisé que le sien. Largement sur la réserve au début, il s’était vite détendu. L’alcool n’y était probablement pas étranger. À n’en pas douter, il était tombé sous le charme de son intelligence et de sa beauté. Sans avoir à le demander, elle lui avait révélé son prénom : Laura. Une information qu’il aurait de toute façon fini par obtenir lors du renseignement de la fiche de recensement.
Il aurait dû refuser le deuxième verre comme il se l’était promis, mais, avec sa capacité de réflexion et son bon sens déjà en partie altérés, il n’osa pas le faire. Tout en parlant, il le but en quelques gorgées, bien qu’il lui parût encore plus sucré et alcoolisé que le premier. La suite de la conversation lui sembla cotonneuse, il fallait qu’il se concentre et ralentisse sa diction pour ne pas déraper sur la moindre consonne, la ramollissant au point qu’elle devienne indistincte.
— Finalement, vous êtes parfait ! s’exclama-t-elle, alors qu’il venait de réaliser qu’elle n’avait toujours pas fini son premier verre.
Parfait pour quoi ? se demanda-t-il.
— Je vais attendre encore un peu, continua-t-elle, ce sera moins désagréable pour vous.
Attendre un peu ? Moins désagréable pour quoi ? pensa Simon. D’accord, répondre à des questions sur son état civil, sa profession ou le nombre de résidents des lieux n’a rien de franchement amusant, mais de là à qualifier cela de désagréable… Et pourquoi « pour moi ? ». Parce que je devrais expliquer longtemps ? Pourtant, elle est des plus intelligente… Ou alors à cause du fait que j’ai du mal à articuler maintenant… Elle a dû s’en apercevoir, c’est sûr… Mais je risque de prendre un moment à récupérer toutes mes facultés d’élocution… Merde, je ne suis plus en état… Je suis en train de m’avachir sur cette chaise… Il faudrait que je me redresse… Bof… Est-ce vraiment utile. Je suis tout mou et j’ai la tête qui tourne méchamment maintenant.
Laura se remit à parler, mais, s’il comprenait encore le sens général de ses propos, il était devenu bien incapable d’émettre la moindre opinion.
Après plusieurs minutes, elle se leva et disparut de son champ visuel en passant derrière lui, pour aller chercher un livre qu’elle voulait lui montrer, ou une carafe d’eau, il ne savait plus trop. Ce devait plutôt être ça, pensa-t-il en entendant le léger glouglou d'un liquide s'écoulant.
Décidément, il devait encore avoir mal compris, car l’effluve très marqué d’un alcool chatouillait désormais ses narines. Il n’arrivait pas à déterminer lequel. Cela lui rappelait son enfance. De fugaces images lui revinrent à l’esprit. Une petite bouteille bleue, une compresse sur le genou écorché. Cela ressemblait à la désagréable odeur de l’éther que sa mère utilisait pour désinfecter ses plaies, quand ce liquide volatil était toujours en vente libre dans les pharmacies.
Il voulut se retourner, mais n’en eut pas le temps. La boucle d’une corde passa devant ses yeux avant de se resserrer sur son torse, bloquant ses membres contre lui, au-dessus des coudes. Une fraction de seconde plus tard, un bras frêle remonta sous son menton, tira son cou en arrière jusqu’à ce que son crâne vienne buter contre quelque chose de souple, l’immobilisant du même coup. Il leva les yeux et aperçut le visage d’ange de Laura, qui se révélait plutôt démon. Paniqué, il commença à crier, mais la main de cette dernière plaqua un imposant tampon d’ouate sur sa bouche et son nez. Cette fois, l’odeur écœurante de l’éther l’assaillait sans retenue. En pliant ses bras, il essaya d’atteindre la masse cotonneuse pour la repousser, mais ses doigts ne parvenaient qu’à effleurer son menton. Sa tête tournait. Il se mit à gesticuler des jambes, tentant de prendre appui sur un des pieds de table pour se dégager. Celle-ci recula de biais et les flûtes posées à sa surface valdinguèrent avant de se briser au sol. Par contre, ni lui ni sa chaise ne bougèrent. Il manquait d’air. Chaque bouffée de celle-ci, difficilement obtenue au prix d’une forte aspiration, lui emplissait les poumons de vapeurs d’éther. Son cœur accéléra nettement le rythme de ses battements.
Il ne fait aucun doute qu’elle veut me faire perdre conscience, mais, visiblement, cela ne marche pas, pensa Simon. Elle va s’en rendre compte et abandonner… abandonner…
Aban... doner... aban... don… ner...
Ses muscles se détendirent et ses mains retombèrent. La droite heurta violemment la table, pas assez repoussée de ce côté, mais il ne ressentit presque aucune douleur. Il n’avait plus aucune force, son esprit, déjà embrumé par l’alcool, sombra lentement dans le néant.
À suivre...
Avertissement :
Dans le monde réel, étheriser ou chloroformer quelqu'un au tampon est très dangereux pour sa santé. On rencontre assez souvent ce type de pratique dans la littérature ou les films, et donc aussi, vous l'avez constaté, dans le texte qui précède, car, dans l'esprit collectif, cela est censé être efficace, sûr et rapide. La santé et la survie des protagonistes d'une histoire ne dépendent que du bon vouloir de son auteur. Ce ne sera pas le cas de votre partenaire de jeu si vous aviez la mauvaise idée de tenter cette pratique sur sa personne !